Collection de Web-Art du Walker Art Center (en francais)

Extrait du Memoire de DEA/Master de Jean-David Boussemaer (juin 2004, accessible au: http://boussemaer.dea.free.fr)


C.1 - Walker Art Center (Minneapolis, Minnesota)

Fonde en 1927, le Walker Art Center fut le premier espace public de l’Upper Midwest consacre a l’art. Au debut des annees quarante, ses responsables profiterent d’un important don de Gilbert Walker pour acquerir des oeuvres d’art contemporain (Pablo Picasso, Henry Moore, Alberto Giacometti…).

Depuis les annees soixante, le Walker apparait comme un modele de centre artistique multidisciplinaire. Il organise des expositions majeures (circulant sur tout le territoire), mene une politique d’acquisition tenant compte des nouvelles pratiques (arts visuels, arts vivants, vivants, video, cinema…) et met en place des programmes educationnels innovants. Actuellement, le Walker dispose d’un fabuleux ensemble de huit mille oeuvres - dont de nombreuses sculptures minimales (Donald Judd, Dan Flavin…), des oeuvres electroniques (Nam June Paik…) et des videos. Par son dynamisme, il obtient les faveurs du public et figure parmi les dix musees les plus visites aux Etats-Unis.

Le Walker s’interessa assez tot au Web-Art. En juillet 1997, Steve Dietz [1], conservateur du departement des New Media Initiatives, imagina la Gallery 9 [2]: un espace online destine a la fois a heberger des websites specifiquement commissionnes par le centre et la Digital Arts Study Collection (un ensemble developpe autour de projets preexistants). La collection ne cessa de croitre jusqu’en mai 2003.



C.1.1 - La Digital Arts Study Collection

En l’espace de six ans, Steve Dietz reussit a recuperer de nombreux sites (des oeuvres mais egalement des dossiers d’oeuvres et des archives d’artistes). En novembre 1998, le Walker annonca sa premiere acquisition: Ada’Web [3] (un website au design experimental dans lequel il est possible de trouver des creations de: Doug Aitken, Jenny Holzer, General Idea, JoDi, Antonio Muntadas, Vivian Selbo, Lawrence Wiener…). L’achat fut negocie avec America On Line qui s’en separa en 1998 (nota: la version acquise est ulterieure a celle acquise par le SFMoMA). Sur le coup, Steve Dietz se montra tres enthousiaste: « c’est une fantastique fondation pour la Digital Arts Study Collection du Walker et une aspiration pour les projets artistiques online projetes pour notre Gallery 9 [4] ». En 2003, il fut beaucoup plus sceptique: « il etait clair qu’a l’epoque, cela equivaudrait a asphyxier le papillon, peu importe la douceur du coussinet [sur lequel il serait] epingle [5]. » Pour lui, il importait juste de cristalliser l’ensemble et d’en former « un dossier historique » (terme de Dietz [6]).

En meme temps que l’acquisition d’Ada’web, le Walker decida d’archiver Beyond Interface [7]: une exposition virtuelle de Steve Dietz comportant vingt-quatre creations de web-artistes renommes (de Mark Amerika, Natalie Booklin, Heath Bunting, Ken Goldberg, JoDi…).

Par la suite, Dietz acquit encore les sites d’Art Dirt, de Booling Alley, de Consual Fantasy Engine, de DissimiNET et de Franklin Furnace: The Future of the Present.



C.1.2 - Les commissions

Entre 1998 et 2003, Steve Dietz commissionna une vingtaine de sites specifiquement crees pour le Walker. Selon lui, le centre devait etre un « catalyseur pour la nouvelle expression creative des artistes ainsi qu’un lieu d’engagement du public [8]. » La definition du Net-Art ne devait en aucun cas etre restreinte et l’innovation devait etre promue.



Le programme ‘Emerging Artists/Emergent Medium’

Dans le cadre de ses commissions de web-art, la Gallery 9 instaura le programme ‘Emerging Artists/Emergent Medium’. Grace au soutien financier de la Jerome Foundation [9], le centre reussit a acquerir dix sites innovants (en trois temps: d’abord en 1999, puis en juin et en decembre 2000).

Lors de chaque session, la selection des artistes fut effectuee par Steve Dietz - ou par un jury [10] - apres un appel d’offre diffuse sur le Net. Pour postuler, il suffisait - par courrier electronique - de mentionner ses references artistiques, une courte description de son projet (titre, fonctionnement de l’oeuvre, specifications techniques), ainsi qu’une reflexion succincte sur sa position personnelle face au Net-Art.

Aucune thematique ne fut fixee pour les deux premieres sessions. Par contre pour la troisieme, Steve Dietz ajouta dans le reglement que toutes les oeuvres devaient etre axees autour de la thematique du ‘translocal’. « Dans l’esprit d’un projet menant a l’exploration, l’EAEM3 encourage les propositions qui grosso modo explorent et interpretent le translocal, particulierement celles qui traitent de la situation, de la fondation et de l’agencement au sein d’un contexte connectif et global [11]. »

Une autre limitation importante fut mise en place: le lieu de residence des artistes. Tous devaient resider a New York ou dans l’Etat du Minnesota (nota: la promotion des artistes de cet etat est une priorite de la Jerome Fondation).

Il est interessant de remarquer que le Walker n’assura uniquement qu’un role d’hebergeur et ne s’impliqua pas dans la production des oeuvres (Dietz exigea des artistes qu’ils se debrouillassent par eux-memes). Chacun toucha cinq mille dollars (plus eventuellement deux a quatre mille autres pour compenser les couts techniques). En echange de cette somme, l’artiste acceptait - pendant douze mois - de ne presenter son ‘projet complet’ que sur le site du Walker. Au bout d’un an, le centre disposait a perpetuite d’une version du site, mais n’avait plus les droits exclusifs d’archivage et d’exposition de l’oeuvre. Le centre n’avait plus non plus l’obligation de mettre en valeur le projet.

Dans les appels d’offre, le Walker mentionnait egalement qu’il ne disposait pas d’interfaces physiques dans ses galeries mais qu’il pouvait envisager d’en creer (en collaboration avec les artistes) s’il recevait des propositions interessantes.



C.1.3 - Le statut particulier du Net-Art

Afin d’eviter tout probleme juridique, la direction du Walker ne souhaita pas integrer les Web-creations au sein de sa collection permanente. Ici, le musee n’est pas envisage comme un service de conservation, mais plutot comme une maison d’edition online. « La direction est partie du principe que le site web de ce musee a une fonction de publication, et d'edition en ligne et que, par consequent, tous les developpements artistiques sur ce site rentrent dans le meme domaine de responsabilite que la gestion des publications papier du musee [12]. »

Comme pour toutes ses acquisitions, le Walker fait remplir a l’artiste un questionnaire sur les mesures a prendre en cas d’obsolescence de l’oeuvre: droit au remplacement (si cela est effectue de maniere imperceptible), droits de consultation de l’artiste…

Dans tous les cas, la licence est non exclusive (l’artiste peut conclure des contrats similaires avec d’autres musees) et le centre detient un droit d’exposition (en echange de la responsabilite du maintien de l’oeuvre).



C.1.4. - Les difficultes actuelles du centre

En mai 2003, la direction du musee decida de sacrifier le Departement des Nouveaux Medias. Six des onze employes (dont le conservateur Steve Dietz [13]) furent alors licencies. En reaction a cette annonce, Sarah Cook - commissaire d’exposition independante - redigea une petition de protestation [14] qui obtint un large echo sur le Web (en sept jours, elle recut le soutien de six cent quatre vingt neuf artistes, critiques, commissaires et conservateurs de musees). Les signataires reprocherent a la directrice du musee, Kathy Halbreich, de s’attaquer injustement au Web-Art en raison de sa jeunesse. Christiane Paul s’etonna de cette decision qui, selon elle, est strictement incomprehensible d’un point de vue economique.

Sous la pression de la petition, la direction du musee s’engagea a maintenir en ligne la collection. En juin 2003, Kathy Halbreich reconnut egalement que son « programme [etait] ‘moins ambitieux’ que prevu mais [affirma] que son ‘engagement en faveur de l'art des nouveaux medias n'[avait] pas faibli. [Pour la elle, le probleme provenait du fait] que les ressources disponibles ne [permettaient] pas de concretiser cet engagement aussi rapidement que souhaite’ [15]. »

Actuellement, le departement existe toujours mais n’a plus qu’un role de maintenance. Le musee espere lui redonner un plus grand role en 2005 ; a cette date, il est prevu que soit ouverte une nouvelle aile (celle-ci doublera la surface d'exposition et permettra au musee de disposer de trois salles dediees aux oeuvres numeriques).







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[1] DIETZ (Steve): en 1996, il fut appele par la direction du Walker pour creer le Departement des New Media Initiatives. Tres tot, il s’interessa au Web-Art (selon lui, un medium appreciable pour son hybridite, sa fluidite et son interactivite).

[2] La Galerie 9 est toujours accessible au: http://www.walkerart.org/gallery9/

[3] Ada’Web (du nom de la premiere programmatrice: Lady Ada Lovelace): site co-fonde en fevrier 1994 par Benjamin Weil et John Borthwick (nota: la premiere web-creation y fut placee en mai 1995). Il etait accessible a partir de plusieurs pages principales et s’articulait autour de six grandes zones: "project" (espace reserve aux creations publiees de Ada’web), "influx" (web-creations), "context" (creations, liste d’evenements..), "usage" (zone d’informations sur les membres, revues de presse, newsletter…), "nota" (forum) et "exchange" (objets d’artistes). A l’epoque de son acquisition par le Walker, le site etait considere par le New York Times comme « la meilleure galerie d’art du Web ».

[4] Cf. le communique de presse du Walker Art Center, « Forms New Digital Art Study Collection - First acquisition is Pioneering Web Site Ada’Web », n°189, 20 novembre 1998 - Cf. http://www.walkerart.org/generalinfo/press1998/press\_adaweb.html

[5] DIETZ (Steve), « Walker Art Center », in L'approche des medias variables: la permanence par le changement, Solomon R. Guggenheim Museum (New York) et Fondation Daniel Langlois (Montreal), 2003 - Cf. http://www.variablemedia.net/pdf/Dietz.pdf

[6] Idem

[7] Le site Beyond Interface est toujours accessible au: http://www.walkerart.org/gallery9/beyondinterface/

[8] Propos lisibles sur le site du Walker Art Center, rubrique ‘Contact- Cf. http://info.walkerart.org/about/contact.wac

[9] Cf. note n°91.

[10] Steve Dietz se chargea de la selection des deux premieres sessions. Pour la troisieme, il se fit assister par Douglas Fogle (conservateur assistant au Departement ‘Arts Visuels’ du Walker Art Center, Minneapolis), Gunalan Nadarajan (Faculty of Visual Arts, Lasalle - SIA College of Arts, Singapore) et Yukiko Shikata (commissaire independant a Tokyo).

[11] Reglement disponible sur le: http://netartcommons.walkerart.org/NAC/02/05/24/1915206.shtml - reprint in annexes pp.73-74.

[12] Cf. le site de Valery Grancher, rubrique ‘document en ligne de la lecture du mardi 18 mars 2003 - Positionnement des musees face a l'emergence de nouvelles expressions et transversalites’.

http://www.nomemory.org/conf/data/conf4.html

[13] Depuis son licenciement, Steve Dietz travaille comme freelance curator. Il a ete appele pour gerer le prochain ‘ISEA2006 Symposium’ et le ‘ZeroOne San Jose International Festival of Art and Technology’ (2006). Il s’occupe du programme de conservation de la Walter Phillips Gallery (Banff Centre, Canada) et enseigne a l’Universite du Minnesota et au Minneapolis College of Art + Design.

[14] COOK (Sarah), « Open Letter To Kathy Halbreich, Director, Walker Art Center » , 6 mai 2003, reprint in Annexes pp.75-76 - http://www.mteww.com/walker\_letter/index.shtml

[15] DUSSUEL (Chantal), « Un grand musee americain saborde son departement "nouveaux medias" », in Transfert.net, Paris, 3 juin 2003 - http://www.transfert.net/a8907